lecture de "la civilisation des moeurs" de Norbert Elias
Dans son ouvrage la civilisation des moeurs, Norbert Elias définit déjà les grandes lignes de son étude par ce titre significatif d'une approche sociologique originale : Se concentrant sur les comportements les plus communs du quotidien et à la dimension psychique qui les entoure, il va retracer leur évolution dans le temps et l'expliquer par la révélation d'un processus, le processus de civilisation, et développer des mécanismes qui le définissent.
Pour accentuer le point de vue sociologique de l'étude, l'auteur va démontrer que ce processus, cette évolution, est aussi celle des structures sociales et politiques au fil du temps, corrélant ainsi les deux échelles micro-individuelles et macrosociale dans une dimension historique.
Son approche résulte également de la mise en relation de la socio et pscho-génèse, ou rechercher à la fois les racines sociales et psychiques d'un comportement pour l'expliquer.
Nous allons donc exposer ces concepts à travers l'étude du chapitre VII , qui traite d'un aspect particulièrement digne d'intérêt dans l'étude de toute société, a savoir celui de la violence et «les modifications de l'agressivité»
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Pour formuler ses théories, l'auteur s'appuie sur un constat de base, issu d'une analyse historique assez large entre le moyen-âge et l'époque moderne: Les normes et les valeurs régissant les manières par lesquelles un individu peut exprimer son agressivité au sein de la communauté ne sont plus les mêmes. L'étude de documents historiques, tels que des chansons de troubadours rendant compte de la mentalité médiévale ou des traités de bonne conduite vont confirmer ce fait.
En effet, il prend l'exemple des seigneurs guerriers du moyen-âge européen et décrit leurs comportements comme totalement débridés, libres de tous interdits, dans lesquels dominent les plus franches expressions de l'agressivité : les pillages, les destructions, les guerres, la chasse, les tournois dont on retrouve les récits dans ces chansons de troubadours exaltant cette brutalité et la glorifiant.
On remarque même que ce quotidien réclame l'agressivité directe et physique, qu'elle est la norme, donc normale et, qui plus est, nécessaire.
C'est donc un état de fait communément accepté et intégré par l'ensemble des individus.
Cela phénomène ne se limite effectivement pas à la caste des chevaliers mais, comme Elias le décrit également , est monnaie courante dans les milieux citadins, bourgeois ou populaires, où querelles de familles ou de voisinage naissent au moindre prétexte en vertu de cette agressivité débridée et toujours sous l'effet de cette dernière, perdurent indéfiniment et se règlent par la violence la plus extrême.
Cette violence peut se dérouler en public sans aucun problème , elle n'est pas refoulée dans l'intimité.
La société moyenâgeuse apparaît donc comme ayant été fondamentalement violente.
Aujourd'hui de tels comportements comme on a pu les évoquer précédemment ne seraient pas apparus comme tout à fait associables, mais relevant directement du domaine de la psychiatrie et du registre pathologique.
La société moderne tolère mal l'expression des pulsions dans la sphère publique, et a encadré ces expressions par nombre de normes contraignantes et restrictives faisant peser la menace de sanctions sévères aux contrevenants éventuels. L'individu désormais connaît des positions de « dégoût » ou de « déplaisir » lorsqu'il se trouve confronté a ce genre de comportements non-acceptés.
La société actuelle veut en effet une logique de refoulement de tout ce qui est pulsionnel et qui réfère a nos origines animales, en complète opposition avec l'agressivité débridée du moyen âge.
Dans cette optique là, la société moderne a inventé des moyens de canaliser les expressions de l'agressivité des individus: Le sport en est le principal outils, de ces « enclaves dans l'espace est le temps » où les normes quant à l'agressivité sont assouplies, mais persistent cependant. Ainsi le sport tient en partie ce rôle d'exutoire où brutalité et compétition sont permises par la société. C'est aussi le cas de la chasse.
Cet « affinement » croissant des moeurs, cette évolution des comportements par la normalisation, Norbert Elias vas l'appeler Le processus de Civilisation, qui pour lui se définit avant tout par une élévation du seuil de la sensibilité au fil des époques : la sociétés et les individus sont de moins en moins tolérants face à l'expression des pulsions émotionnelles.
Nous allons voir que ce processus est le résultat, le fruit d'évolutions et de transformations sociales et politiques qui ont trouvé leur impact sur la structure psychique même des individus.
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Revenons donc à l'âge médiéval avec cette fois un angle de vue plus axé sur le contexte social et politique de l'époque .
Pourquoi de tels comportements débridés ?
Le premier constat que l'on peut faire est qu'alors aucune loi ne régit ces comportements, ni n'y appose de sanctions sociales.
Sur le plan politique, l'europe ne connaît alors pas de véritables états puissants : les pays et leur autorité centrale reposent plus sur l'allégeance commune des seigneurs, régnant chacun sur leur terre avec tous les droits, tous les pouvoirs, notamment celui de l'usage de la force armée et celui de collecter l'impôt. Cela engendre donc un contexte où la guerre et courrante et vient avec le printemps . L'agressivité est donc indispensable à la survie, aucun frein n'y est donc apposé n'y d'ailleurs ne pourrait l'être le cas échéant qu'a des échelles ultra locales, par des bon-vouloirs personnels.
Le seigneur doit s'imposer face a ses pairs et sur ses sujets, il ne peut le faire qu'en inspirant la crainte.
Toujours sur le plan de la guerre, celle-ci ne consiste pas à l'époque à obtenir un traité de paix : il faut pour se protéger, anihiler complétement les capacités fonctionnelles de l'adversaire en detruisant son agriculture et mutilant ses soldats prisonniers : on est donc beaucoup plus qu'a l'époque moderne dans une logique de dévastation, propice aux déchaînements agréssifs les plus extrémes.
Enfin, étant leur moyen de survie, l'agressivité débridée, la violence et la brutalité, sont aussi les caracteres distincifs qui définissent la «classe» , la caste des chevaliers, qui dés le plus jeune âge en apprennent les tenants. S'ajoute alors de fait la notion de plaisir à ces comportements.
Au regard de ces parametres, quelles évolutions de la structure sociale et politique vont donc contribuer à cette élévation du seuil de la sensibilité précédement décrite ? Elias distingue comme élément-clef l'apparition des puissances étatiques centralisées qui s'affirment vers l'époque de la renaissance.
Elles sont une force coercitive désormais capable d'imposer a grande échelle une logique de CONTRAINTE afin de cadrer l'expression de l'agressivité et des pulsions émotionnelles sous un appareil normatif.
Mais cela commence tout simplement par leur existance même, qui repose en effet sur «le monopole étatique de la violence» : les individus sont déposédés de l'agressivité hors des cadres prévus par l'état; les anciens guerriers sont confinés à la cour.
C'est donc à partir de là que va débuter et aller croissant l'idée du refoulement des pulsions .
Cette centralisation du pouvoir va également tendre a créer une dynamique d'évolution sociétaire produite par une élite intellectuelle au sommet qui est imitée ensuite par les masses.
Enfin, c'est par le biais d'un processu de socialisation au long terme que la contrainte extérieure de départ est acceptée progressivement par tous, rentre dans les moeurs, et se mue en une AUTO CONTRAINTE PSYCHIQUE que nous nous imposons consciemment ou non car admise comme normale.
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Ainsi donc l'on constate une interaction d'influence réciproque entre Individu Et Société ,celle ci peut par son évolution influer sur la structure psychique même des individus qui entretiennent donc de fait cet état par la suite.
Elias donc pose les bases d'une approche inédite dans la compréhension de la société, a travers des thémes qui aujourd'hui encore peuvent se réveler d'actualité, notamment sur la légitimisation par la science ( psychiatrie ) de jugements peut-être pas si objectifs.
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